Quand la tradition bretonne croise l’intelligence artificielle
Même au pays du kouign-amann et du cidre brut, l’innovation industrielle n’est plus un vœu pieux. Dans les unités agroalimentaires de la région rennaise, le numérique et l’automatisation ne sont plus des mots lancés dans le vent, mais des réalités concrètes. De nombreuses entreprises bretonnes, autrefois enracinées dans des processus artisanaux ou semi-mécanisés, font désormais le grand saut vers la transformation digitale. Et ce n’est pas la pluie (ni les idées reçues) qui les arrêtera.
Derrière les lignes de production de yaourts, de galettes de blé noir ou de plats cuisinés, une petite révolution silencieuse est en cours. Plus agile, plus propre, plus rapide, l’agroalimentaire breton entame sa mue vers l’industrie 4.0, avec une détermination qui force l’admiration.
La digitalisation au service de la performance
À Rennes et dans ses environs, la digitalisation des unités de transformation alimentaire s’accélère. La crise sanitaire aura agi comme un coup de fouet : il fallait se réinventer pour tenir, répondre à la demande, sécuriser les collaborateurs et maintenir la qualité. Résultat ? Des investissements massifs dans des systèmes de gestion intégrés, des capteurs intelligents en ligne de production, ou encore des jumeaux numériques pour simuler les processus avant déploiement réel.
Des enseignes connues comme Triballat-Noyal ou Jean Floc’h investissent dans des ERP nouvelle génération, capables de suivre en temps réel des indicateurs aussi variés que la consommation énergétique, les rendements, les niveaux de stocks ou encore la sécurité alimentaire. Plus besoin d’attendre la fin du quart pour diagnostiquer un problème de surconsommation d’eau ou de température inadaptée dans une chambre froide : les décisions se prennent à la seconde près, grâce à des tableaux de bord visuels et personnalisables.
Et que dire de l’arrivée des technologies de maintenance prédictive, un Graal longtemps réservé à l’aéronautique ? À l’usine Kermené, spécialiste de la viande en Bretagne, des algorithmes surveillent désormais les bruits et vibrations anormaux sur les lignes de découpe, réduisant les arrêts non planifiés de plus de 20 %. Quand la big data s’invite à l’apéro, les pannes mécaniques n’ont plus vraiment la cote.
Automatisation : la Bretagne à l’heure des cobots et de la vision industrielle
Un autre signe que Rennes et la Bretagne sont bien arrimées au train de la modernisation industrielle ? L’automatisation à grande échelle de certaines fonctions jusqu’alors manuelles, voire pénibles. Bras robotisés pour le conditionnement, convoyeurs intelligents, et même robots mobiles autonomes (AMR) pour le transport de denrées entre les halls de production.
Mais attention : ici, pas de robots remplaçant les humains dans un bain de science-fiction dystopique. La stratégie bretonne se veut inclusive et pragmatique. L’automatisation n’est pas une fin en soi, mais une réponse à une double problématique : un marché du travail en tension et une exigence croissante en matière d’hygiène, de traçabilité et de flexibilité.
À cet égard, l’exemple de la laiterie Le Gall, près de Rennes, est parlant : un cobot collaboratif, introduit pour automatiser le soudage des becs verseurs sur les bouteilles de lait, travaille main dans la main (ou plutôt, en simultané sans danger) avec les opérateurs. Résultat ? Moins de TMS (troubles musculosquelettiques), plus de productivité, et un personnel réaffecté vers des tâches à plus forte valeur ajoutée.
De leur côté, les caméras de vision industrielle couplées à des systèmes d’intelligence artificielle permettent d’assurer un contrôle qualité constant, même en fin de ligne. Un biscuit trop doré ? Une étiquette mal collée ? La machine repère, signale, et trie avec une précision que même les papilles d’un expert agro n’oseraient revendiquer.
Petite taille, grande audace : les PME aussi innovent
Si les grands groupes tiennent souvent le haut du pavé médiatique avec leurs investissements colossaux, les PME bretonnes ne sont pas en reste. Car la digitalisation n’est pas (plus) un luxe réservé aux géants de l’agro. Grâce à une offre en matériel plus accessible, aux aides publiques (Région Bretagne, ADEME, France Relance…) et à l’émergence d’intégrateurs spécialisés dans l’agroalimentaire, de petites structures franchissent le pas avec succès.
Chez Plouvorn Surgelés, par exemple, 42 salariés et un chiffre d’affaires modeste, mais déjà une ligne de production 100 % pilotée numériquement via tablette tactile. Le directeur, ancien ingénieur reconverti dans l’entrepreneuriat, résume ainsi son ambition : « Ce n’est pas parce qu’on est petit qu’on doit penser en petit. La Bretagne mérite d’être à la pointe, même dans ses coins les plus ruraux. » L’esprit de clocher en mode 4.0, en somme.
Et les outils numériques facilitent aussi la montée en compétence des équipes. Des modules de formation en réalité augmentée sont testés sur certains sites rennais pour former rapidement les nouveaux embauchés aux procédures de nettoyage ou aux gestes de sécurité. Une révolution douce, mais déterminante, en contexte de turn-over élevé.
Cybermenaces : garde fou indispensable au progrès
Évidemment, toute cette connectivité n’est pas exempte de risques. Plus un système est interconnecté, plus il devient vulnérable. Et dans un secteur aussi sensible que l’alimentaire, un déraillement numérique ne se limite pas à une perte financière : il peut affecter la santé publique, le respect des normes sanitaires, voire l’image de marque.
Les entreprises bretonnes en prennent désormais pleinement conscience. Le cluster Valorial, basé à Rennes, propose ainsi aux PME des audits de cybersécurité spécifiques aux systèmes industriels. Une initiative salutaire, car la plupart des cyberattaques dans l’agroalimentaire passent par des failles aussi triviales qu’une mise à jour non faite ou un mot de passe trop faible (1024bitelogique, ce n’est pas un bon mot de passe, on vous l’assure).
Heureusement, les formations en cybersécurité industrielle commencent à se multiplier dans les écoles d’ingénieurs bretonnes, notamment à l’INSA Rennes. Entre un module sur l’automatisme et celui sur les réseaux Modbus, les futurs ingénieurs apprennent à penser sécurisé dès la conception. De quoi renforcer les murailles virtuelles sans freiner l’innovation.
Et demain ? Une Bretagne agroalimentaire encore plus agile
Il ne s’agit pas seulement de poser quelques capteurs et de brancher deux robots pour parler de révolution. Ce qui se joue en Bretagne, autour de Rennes, c’est un changement de paradigme. Une évolution culturelle autant que technologique.
Dans les prochaines années, on peut s’attendre à voir se généraliser :
- des plateformes cloud sécurisées pour coordonner la chaîne logistique en temps réel, de la ferme au rayon
- l’usage de la blockchain pour garantir la traçabilité et l’authenticité des produits (adieu les fausses étiquettes bio)
- l’intégration massive d’intelligence artificielle pour optimiser les recettes en fonction des goûts des consommateurs ou des contraintes réglementaires
- le recours à la réalité augmentée pour la maintenance et le contrôle à distance
- des modèles énergétiques plus sobres, en combinant gestion de données et besoins en sobriété carbone
Tout cela compose un paysage en transformation rapide, dans lequel la Bretagne ne joue pas les seconds rôles. Bien au contraire. La région démontre jour après jour qu’allier patrimoine culinaire, savoir-faire industriel et technologies de pointe n’est pas une gageure, mais une ambition lucide et nécessaire.
Alors, quand on se baladera prochainement dans un supermarché du coin et qu’on croisera une barquette de rillettes délicatement posée sur une étagère connectée, on pourra se dire que derrière ce petit morceau de terroir se cache peut-être une IA bretonne, un robot collaboratif et une sacrée dose de bon sens industriel. Le tout, épicé à la sauce locale bien entendu.
