Marseille, entre ciel bleu, mistral et saveurs méditerranéennes, n’a pas que le pastis pour emblème. En coulisses de son Vieux-Port et de ses calanques, une autre effervescence gagne les zones industrielles : celle des entreprises agroalimentaires qui, loin de la carte postale, repositionnent la région PACA comme un territoire d’innovation et d’export parmi les plus dynamiques de l’Hexagone. Difficile à croire ? Jetons un œil entre l’huile d’olive et l’IoT.
Quand l’agroalimentaire marseillais sort des frontières (et des clichés)
On l’imagine parfois tournée vers un marché régional, presque folklorique, mais l’agroalimentaire marseillais est aujourd’hui en pleine mutation. Selon l’INSEE, la région Sud compte plus de 1 000 établissements dans le secteur agroalimentaire, dont une grande partie dans les Bouches-du-Rhône. À Marseille et ses alentours, petites PME comme grandes entreprises misent sur deux leviers pour se démarquer : l’innovation technologique… et l’exportation.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur la seule année 2023, plus de 30 % des entreprises agro du territoire ont intensifié ou démarré des démarches de développement international. L’Italie, l’Allemagne, les Émirats Arabes Unis, ou encore le Canada apparaissent désormais sur leur radar économique.
Comment ? Grâce à des partenariats technologiques, des investissements dans les technologies de fabrication avancées, mais aussi un accompagnement structuré, souvent sous l’égide de pôles de compétitivité comme Innov’Alliance ou Capenergies. Comme quoi, la bouillabaisse a bien plus à offrir qu’un simple déjeuner dominical.
La technologie au service du goût
Dans une industrie historiquement attachée à la tradition, le virage numérique semblait autrefois relever du gadget. Pourtant, à Marseille, plusieurs acteurs prouvent que la frontière entre artisanat et industrie 4.0 peut être franchie intelligemment, sans renier les fondamentaux du terroir.
Prenons l’exemple de Maison Brémond 1830, spécialisée dans les produits du Sud haut de gamme. Basée à Manosque mais très active à Marseille, la société a intégré des solutions d’IoT pour tracer en temps réel l’origine et le transport de ses produits. Ce faisant, elle rassure ses clients sur la provenance et la qualité, tout en simplifiant la logistique interne. Ce que l’on perd en mystère, on le gagne en confiance.
D’autres vont encore plus loin en explorant la robotisation. La Fromagerie de l’Estaque, par exemple, travaille avec un robot collaboratif (ou « cobot ») pour automatiser certaines étapes de moulage. Objectif : solutionner les problématiques de pénibilité au travail tout en maintenant une régularité inégalable sur des volumes de production croissants.
Et que dire des applications mobiles ? Une jeune pousse marseillaise, GustoTrack, a récemment développé une plateforme permettant aux consommateurs d’en savoir plus sur les valeurs nutritionnelles exactes, l’empreinte carbone et même les exploitations partenaires derrière chaque produit. Voilà une transparence qui tranche avec l’opacité des filières classiques.
Ce que Marseille a que d’autres n’ont pas
Il serait réducteur de parler de croissance industrielle sans évoquer les atouts logistiques uniques de la cité phocéenne. Avec son port maritime – le grand port maritime de Marseille Fos – Marseille se positionne comme une place stratégique pour les flux d’import-export. Résultat : les produits peuvent transiter vers l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique du Sud avec une fluidité enviable.
Mais l’atout ne réside pas uniquement dans les containers qui s’empilent. Marseille est aussi un creuset de cultures, un laboratoire social où les produits du monde entier se croisent, se mélangent… et parfois inspirent de nouvelles recettes. Cette multiculturalité influence directe la R&D de nombreuses entreprises locales.
Dans les laboratoires de Soleïa Food, on planche actuellement sur des plats préparés sains à base de recettes traditionnelles d’Afrique du Nord, mais revisités sans additifs. Grâce à des processus de stérilisation par micro-ondes — une techno innovante importée du secteur pharmaceutique — l’entreprise espère conquérir des rayons bio en Europe du Nord. Marseille devient alors un carrefour, non plus seulement maritime, mais aussi gastronomique et technologique.
Les défis persistants de l’industrie agroalimentaire
Ne brossons pas un tableau idyllique : les entreprises agroalimentaires à Marseille font face à des obstacles bien réels. Parmi eux :
- Des tensions sur le recrutement, exacerbées par une image parfois trop artisanale du métier.
- Un besoin d’investissement en cybersécurité, alors que la digitalisation des chaînes logistiques et de production devient inéluctable.
- Une dynamique encore timide sur l’économie circulaire, bien que le potentiel de recyclage des déchets organiques soit énorme, notamment pour la transformation en biométhane ou en engrais naturalisés.
Pour certains dirigeants, intégrer l’industriel de demain ne signifie pas simplement passer à la machine 5.0 : il s’agit aussi de rester alignés avec une éthique de production, notamment envers les producteurs locaux et l’environnement. Une complexité qui, disons-le, n’est pas toujours soluble dans des indicateurs de rentabilité court-terme.
Des alliances intelligentes entre industrie et recherche
La montée en puissance technologique du secteur agroalimentaire marseillais ne serait pas possible sans son écosystème de recherche. L’Université Aix-Marseille, les écoles d’ingénieurs comme Polytech ou l’IMT Mines Alès (antenne régionale) jouent un rôle moteur dans la transformation numérique de l’agro-industrie.
Un exemple parlant ? Le projet collaboratif FERME TECH, un partenariat entre l’INRAE, plusieurs exploitants locaux et une entreprise industrielle pour développer une chaîne courte digitalisée combinant agriculture intelligente, gestion des stocks anticipée grâce aux données météo, et distribution par e-commerce local. Un modèle de transition numérique soutenu par le Conseil régional et l’ADEME.
Ce type d’initiative montre que Marseille ne se contente pas d’accompagner le changement : elle contribue activement à le concevoir sur-mesure.
Une nouvelle génération d’industriels… et de chefs d’entreprise
Derrière cette effervescence, une nouvelle génération d’entrepreneurs, souvent formés à l’international, ambitionne de redonner à l’industrie agroalimentaire marseillaise ses lettres de noblesse. Leurs profils ? Mi-ingénieur mi-gourmet, fans de techno comme de terroir, et profondément convaincus qu’un bon produit ne se contente plus d’être « bon » — il se doit aussi d’être transparent, traçable, durable… et exportable.
À l’image de Claire Maure, fondatrice de L’huilerie Grand Sud, qui mêle blockchain pour assurer la traçabilité de son huile jusqu’au producteur, et design packaging éco-conçu pour séduire les marchés asiatiques. Pas de doute : on n’est plus dans l’huile d’olive de grand-mère, et ça se sent jusqu’à Séoul ou Ottawa.
Mais ce mouvement ne se limite pas aux start-ups. Des industriels historiques comme Socopa Mediterranean modernisent leur chaîne de production avec des capteurs IoT, des ERP dans le cloud et de l’analytique avancée pour mieux gérer les cycles de production. Et tout cela, sans perdre de vue la spécificité méridionale de leur production.
Vers un avenir comestible et connecté
Est-ce que Marseille peut devenir une Silicon Valley du bio provençal ou un bastion digital de la tapenade tracée ? Si la formule fait sourire, elle n’est pourtant pas si farfelue. La dynamique industrielle en cours semble bien enclenchée et confirme un virage où tradition et innovation ne roulent plus en sens inverse, mais bien en tandem.
Dans ce décor où les bacs à légumes côtoient les datas, où les recettes familiales se traduisent en algorithmes, et où les circuits courts flirtent avec les long-courriers, il souffle bel et bien un mistral d’innovation sur l’agroalimentaire marseillais. Et entre deux bouchées de calisson sous protocole blockchain, il faudra bien admettre que l’industrie du goût a définitivement changé d’arôme.


